Derli de Wally

Lilian Derruau (voici donc la fameuse explication de Derli) est né à Decazeville trois ans après la fermeture de la mine. Élevé aux « œufs mimosas en buvant du vin coupé à l’eau », en territoire ouvrier au milieu de la ruralité de l’Aveyron, une base comme une autre. Pas de drapeau chez Wally, la preuve il est capable de chanter le pain au chocolat et non la chocolatine ! A treize ans une tante lui offre Brassens – qu’il n’oubliera jamais – sous la forme d’une guitare et d’un songbook, la radio fera le reste. Enfant de Jean-Louis Foulquier, la chanson sera sa boussole et déjà son irrésistible curiosité jamais trahie depuis, lui fait découvrir en vrac et dans le désordre Dick Annegarn, Nougaro (pour le swing et la musicalité des mots), Ferré (même si… ), plus curieusement Yves Simon. À l’évocation de Boby Lapointe, l’enthousiasme est moindre, même s’il préfère être comparé à lui plutôt qu’à Carlos… Trenet bien sûr. À tous ces chanteurs et tant d’autres parmi les oubliés depuis, le bestiaire de Wally se nourrit également de littérature, de BD, moins de cinéma, même si Jacques Tati reste un phare.

En 1981, le groupe de jeunesse se nomme « Wally et Freddy » et l’emmènera cinq ans plus tard sur la scène du Printemps de Bourges en tant que découvertes. Devenu solo, il signe chez Boucherie Productions le label de François Hadji Lazaro, qui connaît la chanson, même s’il trouve parfois que celles de Wally manquent de refrain. Ce qui pour des chansons qui font parfois moins de trente secondes est pour le moins possible… Wally, en maître ès Haïku, s’est fait spécialiste de la chanson courte et sa tonalité va clairement vers l’humour, même s’il demeure un musicien chanteur. Un humour tendre, parfois volontairement bancal, mais toujours subtil, que la major Polydor accueillera après avoir vu l’homme en scène au Trianon qu’il investit pendant trois semaines en 2000. Investir est le mot juste puisque Wally y exposa ses œuvres d’art « content pour rien », souvenir de son apprentissage en chaudronnerie. En effet, outre la loge pour spectateurs on pouvait découvrir dans le hall de la salle parisienne la machine à se tourner les pouces  (pour avoir le temps de faire autre chose), l’inoubliable machine à casser du sucre sur le dos, ou encore le gratte nombril automatique. Poésie et simplicité là aussi. Ses machines continuent de vivre dans ses spectacles en solo, qu’on qualifiera d’humour, non par défaut, mais parce qu’ils sont drôles et dans les chansons et dans les vidéos ou encore dans les entre- morceaux écrits à la virgule près, bien sûr « Car faire rire, c’est sérieux, comme entreprise ».

Avec l’apparition de Derli, il n’y a pas d’avant ou d’après, mais deux vies artistiques en parallèle. Sans réel déclic, mis à part une phrase courte et efficace de sa femme : « Ce serait bête de faire le tour de ta vie sans – le – faire ». Mais faire quoi ? « Des chansons longues et normales » dit celui qui avait en lui ce fond là, depuis belle lurette. On rajoutera : des chansons immédiates, émouvantes, pleines de sens et qui racontent la nostalgie du beau, la joie des petits moments de la vie et qui donnent des envies de la faire grandir cette P*** de vie. « Il faut se lâcher avant que ça lâche  » commence-t-il les concerts de Derli. Pourquoi Projet ? Tout simplement parce que l’ambition de départ était de faire cinq ou six concerts pour le plaisir, et comme le public, son public de chansons d’humour, a pris la proposition, le projet, qui n’a rien de libéral continue sa vie à huit sur scène (lumières et son sont parties intégrantes du spectacle) presque comme une expérience scientifique en temps réel. Justement par les temps qui courent, être huit sur scène est un vrai engagement artistique et un acte de fraternité. Dirigé par Nicolas Lescombe qui assure les arrangements, l’orchestre sonne classique avec bois, violon, violoncelle, contrebasse, clarinette et percussions. Parfois, Wally s’assoit pour simplement les regarder interpréter sa musique. Car la musique et la musicalité reviennent toujours dans le vocabulaire de Wally. Lui qui est pourtant reconnu pour ses mots, se dit plus un « idéeur » qu’un auteur ! En chanson, comme en art plastique, il se dit plus  « sensible à l’idée qu’à la forme, mais si les deux sont là, c’est encore mieux ! ». N’empêche, les mots de Derli vont droit au cœur que ce soit dans sa déclaration d’amour presque impudique de cinquantenaire, aux souvenirs émus de ses grand-parents (On retrouve  ici « les œufs mimosas et le vin coupé à l’eau ») ou dans le souvenir de Remi Fraisse « J’aurais préféré ne pas avoir à l’écrire ».

Ici, maintenant, Wally raconte ce qu’il voit, et il a une bonne vue.

Un chanteur est né.

Né, après sa tournée des 50 ans où il embarqua plus de 100 amis de Anne sylvestre à Zebda, en passant par Yves Jamait ou les Fills Monkeys. Une tournée qui va bientôt sortir sous forme de documentaire au titre qui en dit long : « Chanteur de sous préfecture ».

Avec Derli, comme souvent dans la vie de Wally, le mot d’ordre est « Juste, fais-le ! », sans peur, sans manichéisme, avec un fatalisme de bon sens, une humilité innée, un instinct en éveil permanent, une curiosité franche, et surtout parce qu’il a tout « ça » en lui depuis longtemps. Surtout il a le désir incessant et insistant de rencontrer les autres. Tous les autres !

Tout « ça », sans oublier le duo qu’il forme avec Vincent Roca : « 150 kg à 2, on vous en met un peu plus », ou encore lorsqu’il chante « L’amour est cerise » de Ferrat dans le projet « C’est un joli nom camarade » initié par Thomas Pitiot. Nous ce que l’on a envie de connaître, c’est la suite (soudain on rêve d’un duo avec Philippe Katerine), toute la suite dont est capable cet homme « bien ».

Un vrai « ARTistan ».

Olivier Bas